Base militaire de Quantico, États-Unis, juillet 2008
Peu après qu’ils furent remontés de leur éprouvante entrevue avec Silver, Yves avait invité la mère et le fils dans sa chambre. Il avait préparé un thé pour lui et Sara dans la petite kitchenette, et offert un soda au garçon.
— Notre avion de retour n’étant prévu que dans deux jours, on pourrait peut-être remonter vers New York, en profiter pour faire un peu de tourisme.
— C’est une bonne idée, approuva Sara, le regard perdu devant elle, alors qu’il n’était pas certain qu’elle l’ait écouté.
— Je suis… désolé… Tout ce chemin… pour un visage ovale à lunettes de soleil.
— Vous avez tort. Je voulais vous remercier. Vraiment. Ça fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi… Enfin, j’ai l’impression que j’arrive enfin à respirer un peu… Elle ne pouvait pas me donner de réponse « fracassante », comme elle le dit. Cependant, je suis… soulagée.
Victor détaillait depuis un moment l’ébauche de portrait-robot que Guéguen avait abandonné sur le petit bureau de sa chambre.
— C’est qui ?
— L’homme que nous recherchons, en rapport avec… Louise et Cyril.
Sara expliqua :
— Ils… les policiers pensent que j’ai pu le croiser.
Bouche entrouverte, le jeune garçon fixait les lunettes de soleil.
— C’est… on dirait un peu cet Américain, maman…
Guéguen bondit vers l’enfant, et le pressa :
— Quel Américain, Victor ? Je t’en prie, c’est très important.
— Celui de quand maman avait pris sa journée. À la terrasse du café. Il a dit qu’il s’appelait Nathan. Il a remarqué le tee-shirt qu’elle venait de m’offrir et a ri en disant : « C’est vrai. La connaissance, c’est le pouvoir. »
— Bien sûr ! cria Sara. J’avais complètement oublié…
— Quoi ? Souvenez-vous ! Les détails, tous ! s’emporta presque le flic.
— Attendez… Il y avait quelque chose de bizarre, au point que ce type m’a tapé sur les nerfs et que je l’ai un peu envoyé balader.
Elle raconta la scène, aussi fidèlement qu’elle le pouvait, parfois aidée par son fils. Guéguen, tendu à l’extrême, la pria de répéter la même histoire à trois reprises. Elle conclut :
— Durant quelques secondes, j’ai cru qu’il me faisait un plan drague, et je n’étais pas d’humeur. Et puis, très vite, un truc dans son attitude m’a détrompée…
— C’était quoi ?
— Je ne sais pas. Il s’est levé et il est parti sans se retourner.
— Il s’est arrêté quelques mètres plus loin, compléta Victor, et il a allumé un cigare.
— Sara… la scène s’est déroulée combien de temps avant…
Il n’eut pas besoin de compléter.
— Moins de deux semaines. (Soudain, une hypothèse ahurissante lui traversa l’esprit :) Vous pensez qu’il voulait se… avant de…
— Se présenter, en effet, acheva Guéguen, lugubre.
Sara se leva et il se fit à nouveau la réflexion qu’elle se tenait très droite, comme prête à résister à un assaut d’envergure. Il intercepta le regard de panique qu’elle lança en direction de Victor, absorbé dans la contemplation du contour du visage de Nathan Hunter. Elle ouvrit la bouche et il sentit qu’elle fournissait un gigantesque effort afin de conserver un calme apparent au seul profit de son fils.
— Chéri… il faudrait que je parle deux minutes avec M. Guéguen…
Victor se redressa et hocha la tête d’un air grave avant de rejoindre leur chambre en traversant la salle de bains.
Elle inspira avec lenteur et demanda :
— Vous croyez que nous sommes en danger ? Je veux dire, vous aviez raison, il nous connaît. Il sait qui est mon fils. Je veux la vérité.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Je ne parviens pas à cerner ce type. Il faut que je redescende discuter avec Diane. Je vais lui demander d’envoyer le portraitiste. Vos souvenirs à tous deux vont nous permettre d’affiner son signalement, et de l’expédier un peu partout.
Sara acquiesça d’un signe de tête.